Anick R.

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Anick Roschi, né à Saint-Julien-en-Genevois, en Haute-Savoie, est un auteur d’origine franco-suisse. Après de nombreuses années de travail avec les enfants dans le secteur associatif, il se consacre aujourd’hui à l’écriture. Son premier manuscrit de poésie, Le voyage des ombres, paraît en 2007 aux éditions du Cygne. Au printemps 2010, avec de nombreux auteurs des Caraïbes et du monde francophone, il participe à l’ouvrage caritatif Pour Haïti aux éditions Desnel. Le Chasseur abstrait publie en 2013, son deuxième livre Nuits de cartons.

Avec Je vous fleure, Anick Roschi nous offre une composition florale des quatre saisons. Un bouquet poétique aux parfums chargés d’histoire et brillamment illustré par les tonalités sensuelles de Maruša Nemelka, pastelliste, à qui il dédie ce nouveau recueil.

Éditions du Cygne

13,80
Conseillé par
4 mars 2017

La banalité du mal

Le voyage des ombres est un recueil dense à portée historique et politique. Il appartient à la poésie mémorielle. Le poète s'inspire des événements dramatiques qui ont secoué le XXème siècle pour composer un pan mémoriel de poèmes sur lequel il transcrit simultanément sa révolte et sa peine. En rendant ainsi hommage aux victimes et en criant l'horreur de l'humain à l'égard de ses semblables, il se transforme en poète témoin, chroniqueur et historien des violences et des crimes contre l'humanité commis partout sur cette planète. Ce recueil porte donc les stigmates des temps de haine jusqu'à faire disparaître le verbe et se retrouver dans le poème nominal dans « Baisers volés » (décrivant la dictature de 1976 en Argentine).

Les mots dénudés de tout artifice tracent des figures et font jaillir du néant instauré par la haine les mémoires vives des victimes dans plusieurs poèmes tels : « Bouquet » (p. 10), « Immortelle » (p.12), « Boucles » (magnifique poème inspiré des horreurs d'Auschwitz, p. 13), « Présent » (p. 16), « Les oiseaux » (p. 17), « Panthère » (p.22), « Ébène » (p. 23), « Ta fille où est-elle? » (p. 52)...
L’oxymore et la litote sont omniprésents dans cet ouvrage et la douceur des mots dévoile autrement l'horreur des injustices battantes. Le poète Anick Roschi emploie la poésie comme un vecteur de témoignage. Oui, la poésie peut rendre, à l'instar du roman historique et du roman-témoignage, le réel laid de notre humanité à travers la beauté des mots et la grâce de leurs musiques. La poésie n'est sûrement pas une panacée, mais elle est parfois un requiem et une sarabande. Elle est l'arme blanche des non violents révoltés. Ainsi, la douceur et la beauté viennent contrebalancer la haine et enrayer la machine de la loi du talion, de la vengeance et de « la violence qui engendre la violence ».
Ponctué d'illustrations intéressantes et dûment documenté, ce recueil-témoin est un pan mémoriel et un hymne à la non violence et aux victimes de la « banalité du mal » (dont parle Hannah Arendt) ancrée en nous. À lire absolument ! *

Dina Sahyouni.

* Page du livre aux éditions du Cygne : http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-voyage-des-ombres.html

***
Pour citer ce texte
Dina Sahyouni, « Anick Roschi, Le voyage des ombres, Éditions du Cygne, coll. Poésie francophone, 62 p. », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°10, mis en ligne le 28 février 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/voyage.html

Le Chasseur abstrait éditeur

Conseillé par
12 juillet 2014

Quatrième de couverture

"Au premier tour de clef, Martin reconnaît, derrière la porte, le ralliement de Luther:
— Dream !… Dream !
Comme à l’accoutumée il se pose sur son épaule pour lui souhaiter la bienvenue. Avec tendresse, son bec, au creux de son oreille, lui chuchote son nouveau rêve clandestin."

*
« Entre le rêve et la réalité » — ou entre la poésie et le roman — court vite ce récit d’écriture et de connaissance du monde. On aura vite fait de comprendre en quoi consiste ce psittacisme. C’est agréable comme une fable et bien fait pour aller plus loin.
(Patrick Cintas)

Le chasseur abstrait éditeur

Conseillé par
1 octobre 2013

Chronique de Michel Host

Recueil bref, tranchant comme le couteau dans la plaie, comme le cri éploré dans la nuit de l’humain. Il s’ouvre sur les Clandestines :
Dans le repli
D’une vague argentée
De jeunes corps s’échouent
Ces « jeunes corps », avec d’autres moins jeunes parfois, c’est sur les côtes de la Calabre, de la Sardaigne et de l’Andalousie qu’ils se rendent, après les rêves, « À de funestes / Rendez-vous ». Nous savons de qui ils sont, de quelles incuries ils ont péri, sur quelles espérances ils se sont fracassés. Anick Roschi tient cette note basse tout au long, il saisit la peine de l’Autre, mais n’en agite pas la marionnette sur les scènes poétiques. Il ne hurle pas contre tant de cruauté, il n’accuse ni ne se fait pleureuse patentée ou hurlante ou vaticinante contre l’injustice. Voilà ce qui m’a arrêté, avec cette « vague argentée » dont Lorca eût fait una cuna, un berceau pour le malheur de ce monde.

D’ordinaire, je ne goûte pas du tout, je veux dire que j’exècre cette poésie de la plainte universelle et des bons sentiments qui auraient dû, s’ils avaient eu au cœur et au sang quelques degrés de l’alcool de vérité avec un peu de force, éviter que l’on eût tant de malheurs à déplorer, tant de plaintes à proférer. Cette poésie-là, qui vient après Senghor et Césaire, et Nicolas Guillén, lesquels ne sont pas en cause par conséquent, emplit de nos jours des recueils par milliers avec de vaines paroles qui jamais n’ont rien changé, paroles de l’après-coup que j’assimile aux pleurnicheries du résistant de la dernière minute, de celui qui sait bien la pose qu’il convient de prendre pour n’avoir pas le sentiment de venir trop tard ou simplement. De cet art de la nostalgie apitoyée des éditeurs (de poésie notamment) font ployer leur rayonnages, art simulé de l’espoir du jour meilleur, de la grande fraternité tant souhaitable quoique, hormis les mots creux et répétitifs ou les comédies habituelles, on ne fasse rien ou si peu pour la mettre en œuvre. Poésie bouillie pour les chats maigres, tu m’écœures ! L’esclave est mort, tu demandes à son petit-fils de gémir encore et toujours, parfois même tu jettes l’anathème et fais mine d’aller combattre à nouveau. Avec toi, le petit-fils de l’esclave restera esclave dans sa tête, il ne se sortira pas de ce pétrin. Quant à l’esclavagiste-colonisateur, je n’en parle pas. Lui non plus, son petit-fils veux-je dire, ne s’en tirera pas comme ça, d’ailleurs tu ne le souhaites pas, il te le faut cet ennemi, quoique mort et enterré depuis longtemps. D’où que tes vers, libres ou comptés, devraient lucidement s’appeler idéologie et non poésie. Tu ne « fais » rien, tu n’engages pas l’avenir autrement qu’en ton éternel et stérile planctus. Tu es poésie de répétition, morte et enterrée (2).
Anick Roschi, ce n’est pas cela, c’en est même fort loin, ses Déferlantes esclaves / Aux mains volontaires… et [leurs] Rois maudits / Secouent / Nos lits / De gouvernance.
Ah, nos bonnes gouvernances ! Nos risibles gouvernances ! Tout l’humour de ce poète consiste à n’en pas dire davantage. Il laisse le lecteur, le récitant, libres de compléter et de conclure. Il ménage l’ambiguïté, car le poème s’intitule Rois maudits… Qui sont-ils, ces rois-là ? De quels siècles ? De quels continents ? Le monde de l’ignominie est sans fin ni frontières : c’est ici Anna Politkovskaïa : Une colombe, ce soir, est tombée. C’est là Neda, pour moi une inconnue, on ne peut tout savoir de la méchanceté, surtout si Le tout puissant / a décidé // Pour toi / Neda, et même (et surtout) si Ton sang / Coule / Sur nos petits écrans.
Anick Roschi ne procède pas par amples tableaux de bataille, par furieuses dénonciations. Le coup d’épée dans l’eau, le coup de pied de l’âne, ce n’est pas son genre. Il jette une seule pierre à l’homme qui change la femme en pierre – Femme pierre / D’un jour répudié // Pierre d’amants / Pierre d’aimés/ Homme pierre / D’obscurité. Il songe à l’oubli où demeure désormais le peuple Tamoul, au passant que tue la bombe un jour de marché… car au bout de ces choses, au bout de la rue, […] rue défigurée / Dieu est passant / Dieu est passé : sous l’image, le sens caché. Dieu, oui, est bien passé par là, et il s’est tant fait à notre indifférente ressemblance que nous ne distinguons plus sa silhouette. Le poète nous lance ses suggestions avec cette sérénité que procure la force du constat. S’il s’attache auxMémoires, c’est aussi bien aux victimes du Zyklon B qu’à celles aux yeux / Hagards / s’agripp[ant] / À nos regards / Nus, et à celles de la Terre murée / Isolée /Niée / Encore abandonnée de Palestine. Il est dans toutes les mémoires, même celles qu’il ne nomme pas. Il sait qu’elles se lient les unes aux autres par l’obstinée souffrance. Il permet le double sens et le double regard : rien n’est univoque, et surtout pas le mal. En cela il se rend inacceptable pour la pensée unique qui tranche avec une papale autorité du bien et du mal, des bons et des méchants. On ne le recevra ni à droite ni à gauche, pour autant qu’existent encore ces catégories désuètes. S’il prononce ces mots, finalement : – Liberté… Égalité… Fraternité… –, nos emblèmes ou notre ritournelle, c’est qu’il cherche, appelle et voit un autre temps, d’un désir renouvelé À chaque naissance, seule excuse au péché d’idéalisme :
Voici le temps / Exorcisé / De nos raisons planétaires / Le temps / Articulé / D’une capitale / Terre.
C’est donc là croyance humaine en ce qu’elle n’exclut d’autres croyances, sachant que la folie, le mal, la faiblesse sont les choses du monde et de cette terre les mieux partagées. Cette poésie nous parle à voix retenue et pas pour ne rien nous dire. Elle est belle, clairement à l’honneur de la pensée du temps présent et des temps à venir (3).
Les illustrations de Valérie Constantin méritent d’être remarquées, car elles entrent de plain-pied, il me semble, dans le projet poétique. J’en parle tardivement, mais non par raccroc, car elles sont essentielles, répétant ad nauseam ces nuits de cartons de beaucoup de ceux que « la vague argentée » n’a pas retenus dans son mortel « repli ». Ces emballages compressés, liés en énormes ballots et que l’on voit transportés par camions entiers vers les usines de transformation, ce sont les mêmes dans lesquels, sous lesquels, à Tokyo et à Paris, à New-York et à Moscou… se protègent du froid de la nuit ces inconnus échoués dans l’ailleurs, chez nous, nos frères que nous méprisons en ne les voyant plus. Allons, que je cesse ma plainte !

Michel Host

Prix Robert Walser 1984, pour L’Ombre, le fleuve, l’été ; prix Goncourt 1986, pour Valet de nuit ; Grand prix de la nouvelle S.G.D.L. 2008 pour Heureux mortels.